Jean-Claude Barny et son Fanon : Quand le cinéma réveille les consciences

À travers son film Fanon, Jean-Claude Barny ne raconte pas seulement la vie d’un homme. Il ressuscite une pensée, un combat, une flamme. Frantz Fanon, psychiatre et révolutionnaire martiniquais, mort à 36 ans, reste une figure méconnue du grand public. Pourtant, ses écrits sur le colonialisme et la déshumanisation résonnent aujourd’hui avec une force intacte. Rencontre avec un réalisateur qui a fait de ce projet bien plus qu’un film : un acte politique.

Un cinéaste en quête d’identité
Jean-Claude Barny grandit entre la Guadeloupe et Argenteuil, dans les années 70. À l’époque, la télévision française ignore les Antillais. « On était invisibles, ou réduits à des clichés », confie-t-il. Ce manque de représentation le pousse, adolescent, à saisir une caméra. Il puise son inspiration dans le cinéma italien de Pasolini, le réalisme poétique de John Ford, ou encore l’audace de la Black Exploitation. Mais il cherche surtout à créer une « bibliothèque » pour sa communauté, des images où les siens pourraient se reconnaître.

La révélation Fanon
Tout bascule à 17 ans, dans une bibliothèque d’Argenteuil. Barny ouvre Peau noire, masques blancs. « C’était comme dans Matrix : j’ai vu la réalité s’afficher », raconte-t-il. Le livre de Fanon, écrit en 1952, décortique le racisme et l’aliénation coloniale. Pour le jeune Barny, c’est une clé. « Il m’a appris à nommer ce que je vivais : la déculturation, le mépris, mais aussi la rage de s’en affranchir. »

Dix ans pour incarner un géant
Porté par cette urgence, Barny consacre dix ans à son film Fanon. Loin du biopic classique, il imagine une œuvre hybride, aussi crépue que la pensée du philosophe. « Fanon n’était pas un homme de compromis. Le film devait être à son image : libre, combatif, créole. » Aux côtés de l’acteur Alexandre Bouilhet, il sculpte chaque scène comme un manifeste. La lumière, les mots, les silences : tout doit traduire l’intensité d’une vie brûlée par l’engagement.

Josie, l’héroïne de l’ombre
Le film révèle un pan occulté : le rôle crucial de Josie, épouse de Frantz Fanon. « Sans elle, son œuvre n’aurait pas existé », insiste Barny. Militante, traductrice, gardienne de l’héritage, Josie est enfin mise en lumière. « Rendre visible celles qu’on efface, c’est aussi ça, la modernité. »

Le crabe, la mangrove et l’universel
Dans une scène puissante, Fanon enfant observe un crabe dans la mangrove martiniquaise. Ce symbole, choisi par Barny, résume tout : l’enracinement, la résistance, la beauté rude des territoires colonisés. « La mangrove, c’est là où tout se transforme. Comme Fanon, qui puise dans ses racines pour parler au monde. »

Et après ?
Pour Barny, Fanon n’est qu’un début. « Ce film est une pierre posée. Maintenant, il faut bâtir. » Il évoque des projets plus ambitieux encore, des récits qui bousculent les frontières. « Notre cinéma doit être comme la pensée de Fanon : insoumise, imprévisible. »

Une œuvre qui dérange et rassemble
En salle, Fanon fait l’effet d’un électrochoc. Certains y voient un miroir tendu à la France postcoloniale. D’autres, un hommage à ceux qui luttent, hier comme aujourd’hui. Une chose est sûre : Jean-Claude Barny a réussi son pari. Son film n’est pas qu’une histoire. C’est un appel à ne jamais baisser les bras, à croire, comme Fanon, que « chaque génération doit sortir de l’ombre ».

Et si le cinéma pouvait changer le monde ?
À en juger par l’énergie que dégage Fanon, la réponse est peut-être « oui ». À condition, comme Barny, de filmer avec le cœur, les tripes, et cette conviction chevillée au corps : l’art n’est pas un divertissement. C’est une arme.

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